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15 mars 2010

ORAN, LE 23 JUIN 1962

         Il est symbolique, il est imagé (il y a beaucoup de double sens). On rapporte beaucoup que le fait ‘’pied-noir’’ est en mode d’extinction vu le temps déjà passé depuis cette déportation (c’est mon sentiment).

 

         Biographie :

 

                   Du côté de la famille de mon grand-père acadien, il y eu la déportation des Acadiens; du côté de mes beaux-parents, il y a eu celle des ‘’pieds-noirs’’. Entouré de cette réalité, je suis immergé dans ces sentiments.

 

         De là j’ai découvert l’Algérie (française). De mes beaux-parents (Sétif et Alger), de leur famille, de leurs amis, de mes propres amis et connaissances, je me suis mis à aimer ce fait, cette culture et ces souvenirs. C’est une histoire d’amour! Il est important que cela soit rapporté, mis en mots, en expression de sentiments afin de faire prendre connaissance de ce peuple, de son histoire et de son existence.

 

         Cela est porteur d’espoir, la flamme doit passer à ceux qui n’ont eu cette chance de vivre cette existence! Tous, nous sommes  les ramifications de nos racines. Les miennes, par les sentiments exprimés, plongent dans celles des familles de mes beaux-parents qui sont celles communes aux ‘’pieds-noirs’’.  À ces conditions, cette réalité historique continuera de vivre. Il faut que cela soit, je désire tant que mes petits-enfants connaissent et ressentent cette ‘’magie’’ afin qu’elle demeure vivante. Ainsi ils auront l’impression de connaître intimement (par les sentiments peints) leurs grands-parents…et leurs propres racines.

 

         En cela, je ne peux pas décrire des sentiments historiquement vécus par moi. Je ne veux pas que le lecteur s’y méprenne. Mais à travers les sentiments (de ceux qui les ont historiquement vécus!) je ressens un sentiment qui transcende le vécu strictement personnel pour accéder à un sentiment plus universel. Dans celui-là on peut rejoindre le vécu personnel de l’autre, quel qu’il soit. À ce niveau, l’expérience vécue des autres devient nôtre. Ainsi la chaîne se forme et le souvenir ne s’éteint.

 

Jean-Marc Blain 16 mars 2010 

 

 

Éloges aux pieds-noirs

 

 

Aujourd’hui j’ai cessé d’exister. La sourde lumière matinale annonce déjà la canicule. Le sirocco soufflera avec la dernière énergie. Les arbres ploient déjà sous le soleil de feu et les fleurs survivent grâce à l’humidité de la nuit. Autour de moi, nulle âme ! La ville est déserte. Les Fellaghas ont le triomphe discret le vainqueur laisse le vaincu filer sans bruit, oui, comme un lâche. Et le faut-il de quitter sans se retourner ce que l’on ne retrouvera plus : ses souvenirs, ses rêves, nos morts abandonnés, à regret, impuissants et à l’image de notre âme : sans amertume contre l’ancien ami, ou pire l’inconnu que l’on ne voyait plus. Trop préoccupés par notre vie présente, notre grande joie de cette fraternité pied-noir qui se manifestait par nos baignades, nos courses et nos cafés. L’histoire a marqué ce que l’on ne pouvait éviter, au mieux repousser. Mais la rencontre et l’affrontement auraient eu lieu, par la diplomatie ou la trahison. Qu’importe aujourd’hui les erreurs des pensants. Nous, nous visions et voulions simplement continuer à vivre, comme hier, avec les nôtres. Nos institutions étaient nos cabanons, nos cafés, nos cuisines. Ne cherchons plus le coupable. Tout est accomplit!

 


         Et là, avec les enfants, ma femme, les valises et le chien, je tourne la clé dans la serrure de la porte, de ma porte, une dernière fois et pourquoi faire? La paix avec moi-même? Ou la grâce du condamné? Pourquoi la traditionnelle “dernière cigarette’? Je sais que je ne reverrais plus cette serrure de ma porte qui donnais sur le sens de ma vie : celle des miens! L’ouvrir et être subjugué par les odeurs de notre cuisine, de cette invitation à la fête, à la convivialité. Entendre ces accents toniques gras et chantants en attendant ma femme appeler les enfants à la table. Se sentir si bien à l’ombre de cette chaleur et de cette lumière implacables mais dont la présence me révèle le fait que j’existe. Qu’ai-je besoin de plus? L’amour, la vie, la lumière n’est-ce pas suffisant? Et la rince avec les copains, les jeux de boule, les coups de gueule devant les choses dérisoires de l’existence, pour plaisanter, pour communiquer, pour témoigner de mon affectivité toute pudique mais combien véritable même si maladroite?

 

 

Le cliquetis du fermoir scelle à tout jamais ce qui fut maintenant mon passé. Le silence de l’appartement est celui du deuil. Ces pièces qui n’entendront plus notre voix cesseront aussi d’exister. Refermées sur elles-mêmes, elles attendront, en vain, d’être de nouveau sollicitées de notre présence. Deviendront-elles hantées? Peut-on vraiment garder avec soi ce qui se manifesta et qui imprégna le monde réel? Non! On laisse des témoins, des lambeaux de notre âme derrière nous, pour le meilleur et pour le pire. Maintenant je sais et cela fait défaillir mes genoux. Si je pouvais je me laisserais ployer sous cette douleur pour implorer le pardon, la réconciliation, éviter l’exil. Car c’est de cela que je suis condamné ! Tel un fantôme, on me somme de quitter ce qui fut le sens de mon existence. Et je dois obéir…mais à qui? Pour quoi? Quels bienfaits cela apportera-t-il  à ces fellaghas de voir quitter leur frère, leur cousin, leur compagnon? Les vrais coupables, ce ne furent pas nous. On punit l’innocent pour le crime de ceux qui ne méritent pas l’adjectif de ‘frère’. Ces magouilleurs assoiffés de pouvoir ne sont pas l’apanage de notre peuple. Les fellaghas s’en rendront compte plus tard, trop tard, après notre départ, cela ne peut faire de doute.

 

 

         Le temps me presse. La file à la gare maritime est déjà inconcevable, inhumaine et sans lendemain. Les yeux rivés au sol, je ne trouve que des insectes indifférents à mon désespoir et de la terre de craie ocre pour soutien à mon désespoir. Là j’y retournerai, plus tard, par la cendre. Pour l’instant, je dois soutenir ma famille. Pour elle, peut être une nouvelle vie? Pour moi? Je ne crois pas à la résurrection physique. Ma vie, elle fut ici! Et la caravane humaine, les bras meurtris de ces valises de cartons achetées à rabais au marché mais remplies de ces choses inutiles que l’on croit indispensables, se traîne les pieds dans cette poussière jaune et sèche. Un dernier regard au café désert, à la station service abandonnée, aux maisons des voisins disparus. Le dernier du village, en retard! Le temps est arrêté. Une planète déserte, seul survivant d’un holocauste, d’une catastrophe. Le résultat est le même : la solitude et l’abandon.

 

 

         Mais je sais que ces immeubles, ces poteaux, ces arbres, ces pierres, cette terre crient aussi leur douleur : ils furent habités et sont maintenant rejetés. Quel sens cela fait-il, dites-moi? L’homme ne s’entend avec l’homme. Alors, avec qui peut-il s’accorder? Ici j’ai cru, dans mon sang et dans mes tempes, que la bonne volonté suffit là où elle rencontre sa jumelle : la fraternité. Mais un seul nuage suffit pour faire régner la noirceur.

 

 

J’hume pour la dernière fois ces odeurs autrefois si familières qui résument l’essence de mon âme. Je retiendrai ma respiration jusqu’à mon dernier souffle, pour ne pas oublier, pour continuer d’exister, fut-ce à ce prix!

 

 

         Oran, 23-6-1962.

 

Jean-Marc Blain (Oka) 3-6-2007 

 

 

 

* Aujourd’hui :      3 juin 1962, date de départ des derniers pieds-noirs. Départ : est-ce le bon mot?

 

 

* discret :             Quelques règlements de comptes, quelques dernières bombes, mais tout de même une accalmie devant cette victoire des arabes. Victoire : est-ce le bon mot?

 

                               

 

* pouvoir :            Pensons du côté pied-noir à ceux qui contrôlait le commerce (et tout le commerce, maritime, terrestre, les ressources primaires -pétrole etc.., les élections truquées, les usurpateurs de pouvoirs, les gardiens arabes achetés (à leur propre souhait)) et du côté arabe : ces quelques personnes qui ont cru à leur destin, qu’il soit signé de leur sang et de celui d’innocents. Pour des idées toujours erronées et vidées de sens réel : l’humain y a été rejeté de tout côté.

 

                                                      

 

* marché :            Ici pour illustrer un autre aspect pied-noir : les valises achetées aux arabes au marché, la veille du départ. Le tout sur un ton humoristique qui illustre la merveilleuse bonne foi candide devant le drame les petites choses auxquelles on attache quand même de l’importance, même ironiquement.

 

 

* arrêté :              La construction des phrases est voulue, incohérente, comme toute douleur trop vive. Le temps s’arrête de la même façon.

 

                                                 

 

* terre :                Le minéral, le végétal, les choses inanimées et animées, tout s’imprègne de notre présence, même à notre insu.

 

 

Retour coups de cœur. 

 

 

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Commentaires
C
Comment peux-tu toi Jean-Marc, canadien français, n'ayant jamais connu cette terre d'Afrique, né après l'abandon...nous émouvoir autant par ton si beau texte !<br /> Tu as compris notre souffrance, nous avons perdu une partie de nous-même, notre jeunesse,nos souvenirs,nos senteurs, notre école, notre église, nos morts...Merci d'aimer notre pays perdu comme nous l'avons tant aimé...
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G
Parfait je n'ai rien à rajouter c'est de la poésie et je dit merci pour cet amour de ce beau pays perdu à tout jamais par la c...d'un hommme et la lacheté d'un peuple!
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