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3 octobre 2014

LETTRE A MES AMIS DE FRANCE

 

Guy Bezzina - octobre-2015

De Guy Bezzina de Guelma

Notre descendance n'a pas à rougir de nous !

A quelques encablures de mes 70 ans, à un âge où les souvenirs se déclinent plus aisément que les projets et après avoir épuisé mes capacités de silence, je ressens le besoin d'éclairer un malentendu.

En 47 ans de vie professionnelle, j'ai travaillé avec vous, milité avec vous, partagé quelques succès et quelques épreuves, communié aux mêmes valeurs, au même humanisme. j' ai bu à la coupe de ce bonheur de vivre en France, de s' étonner de ses richesses, de se pénétrer des mêmes émotions, au point que j' avais fini par oublier que j' étais né sur une autre rive, de parents venus d' ailleurs et de grands-parents à l' accent impossible d' une Île de la Méditerranée.

Je m'étais cru Français comme vous et j'avais cru achever ce travail de deuil commun à tous les exilés du monde. Et puis, depuis quelques mois, des maisons d'édition ont fait pleuvoir témoignages et réflexions sur la guerre d'Algérie. Les chaînes de télévision et les radios ont commenté les ouvrages et refait l'Histoire de 132 ans de présence française en Algérie.

Avec une étonnante convergence de vues, la plupart ont révélé, sur cette période, une vision singulièrement sinistre. j'ai revu l'histoire de ma patrie, l'Algérie Française, travestie ou défigurée en quelques propositions caricaturales :

> La présence de la France en Algérie fut de tout temps illégitime

> Les Français d'Algérie ont exploité les Arabes et ont volé leurs terres

> Les soldats français ont torturé des patriotes qui libéraient leur pays

> Certains Français ont eu raison d'aider les fellaghas à combattre l'armée française et peuvent s'enorgueillir aujourd'hui d'avoir contribué à la libération de l'Algérie."

Alors, j'ai compris que personne ne pouvait comprendre un pays et un peuple s'il n'avait d' abord appris à l'aimer... et vous n'avez jamais aimé "notre Algérie" !

Alors, j'ai compris pourquoi vous changiez de conversation quand j'affirmais mon origine "pied noir" ; j'ai compris que l'exode arménien ou l'exode juif vous avait touchés mais que notre exil vous avait laissés indifférents. j'ai compris pourquoi les maquisards qui se battaient pour libérer la France envahie étaient des héros, mais pourquoi des officiers qui refusaient d'abandonner ce morceau de France et les Arabes entraînés à nos côtés, étaient traités de putschistes.

J'ai compris pourquoi des mots comme "colon" avaient été vidés de leur noblesse et pourquoi, dans votre esprit et dans votre langage, la colonisation avait laissé place au colonialisme.

Même des Français de France comme vous, tués au combat, n'ont pas eu droit, dans la mémoire collective, à la même évocation que les Poilus ou les Résistants, parce qu'ils furent engagés dans une "sale guerre" ! Sans doute, même si leur sacrifice fut aussi noble et digne de mémoire, est-il plus facile de célébrer des héros vainqueurs que des soldats morts pour rien.

Dans un manichéisme grotesque, tout ce qui avait contribué à défendre la France était héroïque ; tout ce qui avait contribué à conserver et à défendre notre pays pour continuer à y vivre, était criminel... Vérité en deçà de la Méditerranée ; erreur au-delà !"

Vous si prolixes pour dénoncer les tortures et les exactions de l'armée française au cours des dix dernières années, vous êtes devenus amnésiques sur les massacres et les tortures infligés par les fellaghas à nos compatriotes européens et musulmans au point de vouloir faire défiler des troupes algériennes le 14 juillet 2012. Vous ne trouvez rien à dire sur l'oeuvre française en Algérie pendant 130 ans. Pas un livre, pas une émission de télévision ou de radio, rien ! Les fictions même s'affligent des mêmes clichés de Français arrogants et de Musulmans opprimés.

Ce qui est singulier dans le débat sur l'Algérie et sur la guerre qui a marqué la fin de la période française, c'est que ceux qui en parlent, en parlent en étrangers comme d'une terre étrangère. Disséquer le cadavre de l'Algérie leur est un exercice clinique que journalistes, commentateurs et professeurs d'université réalisent avec la froide indifférence de l'étranger.

Personne ne pense qu'un million de femmes et d'hommes n'ont connu et aimé que cette terre où ils sont nés. Personne n'ose rappeler qu'ils ont été arrachés à leur véritable patrie et déportés en exil sur une terre souvent inconnue et souvent hostile ... Quand certains intellectuels français se prévalent d'avoir aidé le FLN, personne ne les accuse d'avoir armé les bras des égorgeurs de Français ...

Cette terre vous brûle la mémoire et le cœur ... ou plutôt la mauvaise conscience. Certains d'entre nous sont retournés en pèlerinage là-bas et tous ont été chaleureusement accueillis et honorés. Cela est-il possible pour des gens qui ont fait suer le burnous ?

Je n'ai pas choisi de naître Français sur une terre que mes maîtres français m'ont appris à aimer comme un morceau de la France. Mais, même si " mon Algérie" n'est plus, il est trop tard, aujourd'hui, pour que cette terre me devienne étrangère et ne soit plus la terre de mes parents, ma patrie.

J'attends de vous amis français, que vous respectiez mon Histoire même si vous refusez qu'elle soit aussi votre Histoire. Je n'attends de vous aucune complaisance mais le respect d'une Histoire dans la lumière de son époque et de ses valeurs, dans la vérité de ses réalisations matérielles, intellectuelles et humaines, dans la subtilité de ses relations sociales, dans la richesse et la diversité de son œuvre et de ses cultures.

J'attends que vous respectiez la mémoire de tous ceux que j'ai laissé là-bas et dont la vie fut faite de travail, d'abnégation et parfois même d'héroïsme.

J'attends que vous traitiez avec une égale dignité et une égale exigence d'objectivité et de rigueur, un égal souci de vérité et de justice, l'Histoire de la France d'en deçà et d’au delà de la Méditerranée.

Alors, il me sera peut-être permis de mourir dans ce coin de France en m'y sentant aussi chez moi .. enfin ! ".

Que Dieu nous accueille comme nous le méritons vraiment.

Guy Bezzina de Guelma

Retour coups de cœur. 

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Commentaires
M
Très belle écriture .
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M
Tout est dit. Merci ! Nous devons protester à temps et à contre-temps. Il s'avère que pour nous se sera toujours à contre-temps. Écrire nos livres, nos chansons, démontrer par notre témoignage, réveilleur leur empathie. <br /> <br /> J'ai apporté ma petite contribution avec mon "Soleil colonial" (Atlantis) et bien des "patos" l'ont lu et m'ont manifesté leur étonnement et puis leur sympathie. Alors ne cessons pas de témoigner, de défendre notre histoire, nos racines. Oui merci pour votre lettre.
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A
Chacun d'entre nous a sa souffrance !chacun d'entre nous porte son fardeau !<br /> <br /> Il nous faut ,non pas oublier mais simplement se rappeler.<br /> <br /> Nous vivons dans le présent ,le passé est passé ! donc ,avançons<br /> <br /> Devrais je en vouloir à mes collègues de travail qui jusqu'à la fin m'ont tjrs considéré comme un arabe ?? devrais je continuer à me battre contre des moulins à vent ?? <br /> <br /> Non il est dit dans Ecclésiaste :<br /> <br /> Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité.Quel avantage revient-il à l'homme de toute la peine qu'il se donne sous le soleil?…<br /> <br /> Psaume 144:4<br /> <br /> L'homme est semblable à un souffle, Ses jours sont comme l'ombre qui passe.<br /> <br /> Merci pour ce message bnne jnée <br /> <br /> bien amicalement
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G
Fille de pieds noirs arrivée en Algérie en 1836.<br /> <br /> J'ai comme vous le sentiments d'être reniée par les français, il ne veulent même pas comprendre.<br /> <br /> J'habite la Charente.<br /> <br /> Je viens d'écrire un livre sur mes souvenirs d'enfants d'Algérie "Les grenouilles, les escargots, mon caméléon et moi", chez Amazone, et tout libraire<br /> <br /> Geneviève Hugues
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G
Bien résumé, mais utopique ; la propagande et la politique sont passées par là.<br /> <br /> Et inscrit dans les chromosomes populaires, et ne pas oublier que certains de nos compatriotes, même après l'exode, continuaient à considérer que la classe ouvrière était "les sous-classe".<br /> <br /> Alors comment voulez-vous, que le peuple Français nous perçoivent comme des Français ?
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H
Comme toujours ,Popodoran nous écrit de beaux textes .
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