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popodoran
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19 janvier 2020

UNE MATINÉE ORDINAIRE

L’été s’effiloche doucement, les jours raccourcissent, mais la chaleur est toujours présente et le spectacle de la rue permanent.

A sept heures Djilali ouvre le bal, il vend l’écho d’Oran et livre ses clients d’une façon peu orthodoxe, mais très efficace.

Il plie le journal en quatre dans le sens de la longueur, puis en trois et rejoins les deux bouts en force, ce qui fait du quotidien une masse compacte qu’il lance avec adresse et dextérité dans le balcon de ses abonnés, pas une fois le projectile ne rate sa cible, pas une fois il ne retombe à terre.

Huit heures, Mourad et son petit âne gris font leur apparition, ils viennent livrer l’asparagus pour le fleuriste Primavera.

L’âne disparaît presque sous sa précieuse cargaison, Mourad est un artiste du chargement et cela tient du miracle qu’autant de rameaux tiennent sur ce pauvre bourricot.

Mourad ne toque pas à la porte, il attend stoïquement que le fleuriste vienne prendre livraison du précieux asparagus qui donnera la touche finale à tous les bouquets.

L’âne délesté de son fardeau et Mourad disparaîtront aussi discrètement qu’ils sont venus.

 

Neuf heures Manolo le rémouleur et son étrange attirail abordent à leur tour la rue, Manolo ne signale pas sa présence de quelque cri que ce soit, sa ponctualité vaut tous les cris du monde.

Premier arrêt à la boucherie chevaline en un tour de main et sans la moindre étincelle les énormes couteaux retrouvent le tranchant qui facilite la vie du boucher.

Deuxième arrêt pour affûter les mèches de précision de l’atelier de rectification, puis c’est Roger le fils du bottier qui présente les outils de son atelier connu dans tout Oran. Le père Sultan est passé maître dans l’art de chausser tous les gens qui ont des problèmes de pied.

Le fleuron de sa clientèle est l’évêque d’Oran et c’est pour lui une excellente publicité.

D’étranges formes garnissent les étagères de l’arrière-boutique, ce sont tous les pieds tordus, enflés, bots, déformés de la ville qui s’alignent dûment répertoriés et étiquetés..

C’est ensuite au tour de la couturière de mon immeuble, spécialiste des robes de mariée ces ciseaux sont de précieux partenaires pour la réalisation des chefs d’œuvres d’un jour, Manalo et sa meule font merveille pour la précision des lames.

Puis c’est le défilé :

Ahmed et son âne qui traîne nonchalamment un chouari plein à raz bord de figues de barbarie, lui par contre hurle à tue-tête : » Tchumbo, higo de pala higo ».

Je me saisis d’une passoire :

-         Deux douzaines s’il vous plait

Ahmed sort son couteau, prend les fruits à pleine main, insensibles aux épines, un coup de lame sur le dessus de la figue, un autre sur le dessous et une incision sur toute sa longueur avec ses deux pouces il écarte la peau qui laisse apparaître un délice de couleur orange.

A

  La passoire est vite pleine.

-         Deux de plus pour toi mon fils, deux pièces de cent sous et on est quitte et ontoncion de pas les manger d’un coup sinon tu vas attraper le bouchon.

Diego le gitan, lui sait tout faire, c’est un multi cartes, tondeur de chiens, rempailleur de chaises, vendeur de grilles pour cuire le poisson, matelassier….aussi ses annonces publicitaires sont vastes et variées :

-Asoble, asoble ; el sillero, el tondeur de ciens pélés, colchon nuevo….

Il n’a guère de succès aujourd’hui et passe son chemin en continuant à vociférer ses annonces.

Le marchand de pains de glace lui est très couru, il débite les morceaux avec son hachoir dentelé et les ménagères, sac de jute à la main, font sagement la queue en papotant à qui mieux mieux.

-         Marinette qu’il est beau ton bébé !

Marinette croise les doigts derrière son dos, elle a peur des compliments sur son fils.

-         Mais ma fille tu lui as mis le tricot de peau à l’envers !

-         Mais non madame Perrier c’est exprès.

-         Exprès ?

-         Le tricot à l’envers et avec l’épingle à nourrice, un ruban rouge et une médaille de Santa Cruz.

-         Et pourquoi Marinette ?

-         Pour le mal de ojo madame Perrier, je vous expliquerai plus tard, c’est mon tour pour la glace…

Comme vous le savez déjà, c’est aussi ma corvée et une fois servi, je cours vite regarnir la glacière.

Un peu plus tard mais jamais à heure fixe c’est le tour de « l’argo vender »

Ce grand bonhomme sec comme un coup de trique, vêtu d’une immense houppelande, porte sur l’épaule un sac de jute et pousse un vieux landau ou s’entasse un bric à brac de vaisselle en plastique.

Une énorme balafre défigure sa joue droite, ce qui effraye les enfants.

Il s’annonce à pleine voix : » Argo vender, aek chouse à vend, des bouteilles des journaux des choses… »

Lui fait du troc, il échange contre sa vaisselle en plastique tout ce qui se présente et évidement  le marchandage va toujours bon train.

-         Qu’est-ce tu veux pour ce costume madam ? .

-         La cuvette rouge et trois bols

-         Où tu vas, la cuvette rouge et encore tu fais une affaire.

-         Il est tout neuf ce costume !

-         S’il est tout neuf pourquoi tu le gardes pas ??

-         Mon povre mari…..

-         Aller, parc’que c’est toi la bassine et trois bols, choisis la couleur madam.

A chaque passage il fait une halte chez les Rivier et partage le verre de l’amitié. Bien que musulman, il boit à petites goulées le vin rosé bien frais que lui offre Léon.

-Il ne faut pas avoir peur de « l’argo vender » nous a dit monsieur Rivier, cet homme m’a sauvé la vie sur les pentes de Monte Cassino pendant la campagne d’Italie. Je n’avais pas vu la grenade arriver, il s’est jeté sur moi et c’est lui qui a tout ramassé. Maintenant lui et moi c’est à la vie à la mort.

-Vous pouvez nous raconter la guerre ?

-Allez jouer au pitchac, une autre fois.

A midi le travail terminé c’est le retour soit au domicile, soit dans l’un des mille et un bistrots de la ville.

Les ateliers, magasins, bureaux se vident pendant que les cafés, bars et brasseries font le plein. L’heure de l’apéro autour de kémias savoureuses, est sacrée.

La kémia bien relevée donne soif et les tournées d’anisette vont bon train. Le ton monte avec les rasades anisées.

-         Purée la tannée qu’il a mis le SCBA au FCO

-         La tannée, la tannée … tu parles c’était un match pala (truqué) Tony sers ma tournée et ramène des escargots s’il te plait.

-         Pala ta sœur… Le FCO c’est des gamates qui jouent comme des chanclas.

-         Gamates ???????? T’as vu la péléa qu’ils ont mis à la Marsa la semaine dernière…Tony de l’eau fraîche por favor.

-         Tu parles la Marsa…les kébiriens ils sont meilleurs pour la pêche à la sardine que pour jouer au Ballon… Tony elle vient cette tournée ?

Les verres défilent bien plus vite que la légion le 14 juillet, le ton monte avec les tournées, tous les clubs de foot sont passés à la moulinette, le lundi les discussions ont pour sujet favori les matchs du dimanche et chaque consommateur défend avec ardeur son club d’élection.

Petit à petit les bistrots se vident car il est temps de regagner le domicile pour se mettre à table.

René Mancho l’Oranais

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