NOTRE VIE "LA-BAS" 8
Pierre Salas- CHAPITRE 8-
L’EXODE
" Plus la tristesse creusera profond dans votre être, plus vous pourrez contenir de joie. "Kalhil Gibran.
Je ne veux pas reprendre l’histoire de la guerre d’Algérie. Chacun a pu la lire à travers des revues spécialisées peu objectives certes car autrement elles auraient été interdites de parution par la censure, mais suffisamment documentées pour en dresser les grandes lignes.
Dés Juin 1961 les événements s’accélérèrent brutalement. Les accords d’Evian furent signés le 19 Mars 1962, date honnie et infamante entre toutes et seulement à ce moment, on commença à réaliser et à comprendre que c’était foutu. On nous avait roulé dans la farine et quand je dis ON, c’est de toutes les communautés dont je parle.
La vie économique s’arrêta brutalement et commença alors progressivement l’exode vers la France
Personne ne maîtrisait plus rien, une vraie politique de la terre brûlée commença sournoisement à s’instaurer. Les attentats par bombes, les représailles de tous les camps en présence, incitèrent bon nombre d’européens, dès Janvier, à partir en France, pour des...vacances.
Renseignements pris, les uns... informés par certaines sphères gouvernementales de ce qui allait bientôt se passer, avaient bradé et liquidé la majorité de leurs biens à des Algériens opportunistes ou visionnaires.
Les autres s’étaient servis du prétexte des vacances pour tenter de refaire quelque chose dans un autre environnement pendant qu’il était encore temps.
Bien sûr ,au début, nous pensions que c’étaient des inquiets et des défaitistes qui baissaient les bras ,mais très vite, nous le devînmes tous et regrettâmes de ne pas avoir fait comme eux en temps voulu ,car maintenant, c’était trop tard et une toute autre histoire.
Dés Avril 62 sur ordre du gouvernement qui avait pactisé avec les fellaghas au travers des dits accords d’Evian à propos desquels les Français d’Algérie n’avaient jamais été consulté, l’armée changea d’ennemi et s’attaqua aux partisans de l’Algérie Française, autrement dit à tous les Pieds-noirs qui n’eurent d’autre recours que de se jeter dans les bras de l’O.A.S. Leur offensive n’avait plus lieu dans les djebels mais en ville et chez l’habitant. C’est là et à partir de là que la scission entre les communautés s’installa.
Ce ne fût pas facile pour ce gouvernement de canailles de se faire obéir de toute l’armée, la majorité des militaires n’acceptant cet ordre que du bout des lèvres.
Les partisans de l’abandon pour parvenir à leurs fins durent créer des unités spéciales formées de repris de justice (auxquels on promettait une remise de peine et un salaire stimulant), encadrés par les “barbouzes du SAC “ téléguidés au sommet par le sbire de service aux ordres gaulliens le général Katz, commandant la place d’Oran lors des massacres du 5 Juillet 1962. Ce dernier est mort récemment de vieillesse dans son lit. Peut-être a-t-il trouvé une place de choix aux côtés de son mentor sur le barbecue de Satan.
A partir de ce moment, nos jours dans ce pays étaient comptés. La vie était devenue intenable. Les attentats par bombes, les représailles de tous les camps en présence, devenaient notre quotidien.
L’OAS commença par interdire à la population masculine de partir, mais dés que ses chefs principaux furent arrêtés,on ne sût plus qui était qui et qui commandait encore, si toutefois il restait encore ...”un pilote dans l’avion “. Ce fût la débandade dans leurs propres rangs et le sauve-qui-peut général. Alors plus personne ne tint compte de cette interdiction, la fin prochaine de la France
Le 26 Mars 1962, la fusillade et le massacre de la rue d’Isly à Alger, sonna le glas de l’Algérie Française. Des soldats soit disant Français, aidés par “la force locale “ mise en place par des voyous politiciens de bas étage, sous prétexte d’un échange de coups de feu de pure invention, tirèrent sur une foule « désarmée » qui manifestait pacifiquement pour se solidariser avec le quartier Européen de Bab-el-Oued assiégé par l’armée.
A partir de là, ports et aéroports furent envahis par une marée humaine hétéroclite, anxieuse et apeurée, chargée de valises, de sacs, de balluchons de linge, dans l’attente d’un hypothétique embarquement .Les voitures étaient parquées n’importe où et n’importe comment, fermées et abandonnées et les clés jetées le plus loin possible ou dans les égouts. Certains les incendiaient volontairement.
Combien de temps fallait-il attendre pour avoir la chance de quitter ce pays tant aimé ? Un, deux ou trois jours et même plus, parfois sans nourriture que celle dispensée par l’armée. Pour canaliser ces départs, cette dernière faisait de son mieux, car, en même temps, elle devait nourrir et protéger des milliers de personnes en attente ,qui campaient n’importe comment pendant plusieurs jours avant d’embarquer à l’appel de leur nom.
Destinations ? Marseille, Port-Vendres ,Sète, Paris ,Toulouse ,l’Espagne, qu’importe ,pourvu que l’on puisse vite oublier la peur du FLN ,de l’OAS, des gardes mobiles ,des CRS ,qu’on puisse ne plus avoir l’angoisse ,le goût de cendre dans la bouche et sentir le spectre de la mort qui planait au dessus de chacun d’entre nous ,qu’importe pourvu qu’en atterrissant ou en accostant quelque part, n’importe où ,on oublie tout ça. Pourtant on savait que l’avenir qui nous attendait ,se présentait sous les plus sombres auspices et n’aurait rien de commun avec ce que nous avions connu ,mais au moins on sauvait notre peau , nos enfants et notre famille étaient à l’abri ,et après à Dieu va et Inch Allah....! (Pour les non initiés, c’était notre manière à nous aussi de conjurer le mauvais sort).
Une noria d’avions civils et militaires, de bateaux, d’embarcations et de vieux chalutiers, fût organisée pour faire face à ce déplacement de masses. C’était démentiel! Les autorités, étaient débordées .Personne n’avait prévu un raz-de-marée d’une telle ampleur.
Six ou sept mille personnes quittaient journellement le sol de ce qui allait devenir, dès le 5 Juillet 1962, le tombeau de l’Algérie Française, et celui de bon nombre de malheureux, qui n’avaient pu trouver de places pour rentrer en France avant .
Si le “petit lac” à Oran pouvait parler, il nous dirait ce que sont devenues les milliers de personnes disparues. On ne pourra jamais pardonner et absoudre ces assassins et ces responsables de ce génocide. Ils n’avoueront et ne reconnaîtront jamais leur responsabilité de ce crime contre l’humanité qu’ils ont perpétré. Mais un jour ils auront tous des comptes à rendre à l’Histoire, aux hommes et surtout à Dieu.
Vers la fin de 1961, un ministère aux rapatriés avait été créé, pour faire face au grand maximum à 200.000 ou 300.000 réfugiés, car nos gouvernants pensaient que seulement une faible proportion d’européens, quitterait le pays.
Une fois de plus, ces éminents statisticiens s’étaient bien fourvoyés et c’est à plus d’un million de personnes qu’ils eurent a faire face en un laps de temps réduit, car “ les cris de haine étant les derniers mots d’amour “ comme le chante si bien le grand Charles (lui ) Aznavour , les Pieds Noirs,(dans leur majorité ) les avaient poussés en fuyant vite le pays qui les avait vu naître et qu’ils avaient passionnément aimé, sans un regard derrière eux, sauf pour s’assurer qu’on ne venait pas les poignarder... une nouvelle fois dans le dos ...!
Pendant ce temps les banques durcissaient leur position ,le commerce s’effondrait les notaires ne passaient plus un seul acte d’acquisition ou de vente, les effets de commerce n’étaient plus honorés, plus personne n’acceptait de chèques,. C’était l’époque du n’importe quoi, du chacun pour soi, du sauve qui peut et du cours vite et advienne que pourra !
Nous primes à notre tour la pénible décision de tout plaquer et de partir comme tout le monde. Le 2 Juin, ma mère, mon jeune frère et ma sœur d’adoption réussirent à monter à bord d’une caravelle et atterrirent à Marseille, où ils furent accueillis par des parents arrivés avant eux et domiciliés à Ceyreste (BdR). Mon père, les rejoignit quelques jours plus tard, en ayant la chance d’embarquer avec sa voiture depuis Oran et de là, après les avoir récupérés, partit vers l’Espagne où il avait envisagé un moment de s’établir.
Je ne sais plus comment le reste de mon imposante famille quitta l’Algérie, mais ce que je sais ,c’est que tous mes oncles et cousins se retrouvèrent disséminés aux quatre coins de France, les uns du côte de Pau , les autres entre Nice, Lyon, Béziers, Chartres. Il nous fallût des mois pour avoir des nouvelles les uns des autres, et des années pour nous rencontrer et parfois seulement, hélas à l’occasion des funérailles familiales.
Pour ma part, le 8 Juin, j’avais accompagné mon épouse, mes deux garçons et ma belle-mère à Oran, où avec beaucoup de chance, je réussis à les faire embarquer sur un bateau en partance pour Alicante , sous le regard inquisiteur, suspicieux et ironique de gardes mobiles jubilatoires et vindicatifs , lesquels jusqu’au dernier moment se montrèrent parfaitement odieux envers nous, nous interdisant ,par exemple, d’accompagner notre famille sur le pont du navire, et de les aider à monter leurs bagages ,laissant les femmes et les personnes âgées se débrouiller à les porter comme elles pouvaient ,sans personne pour s’en inquiéter.
Imaginez dans quelles conditions se déroulait la séparation pour ces mères surchargées de valises, les enfants accrochés à leurs basques, certaines obligées de courir derrière eux pour qu’ils ne s’égarent pas. Elles allaient partir sans pouvoir embrasser une dernière fois leurs époux restés sur le quai ,empêchés par le service d’ordre, le pistolet mitrailleur braqué sur leur ventre ( ce fut mon cas aussi) , et ignorantes du sort qui pouvait attendre ces derniers dans les jours à venir. Nous savions que ces gardes là, cherchaient à se venger comme ils pouvaient des déculottées mémorables que quelques uns d’entre eux, subissaient de la part des Français partisans de l’Algérie Française.
Ce sont ces attitudes là qui ont poussé certains Pieds-noirs désespérés à prendre les armes aux côtés de l’OAS, contre ceux qui étaient devenu les complices de nos ennemis. Je restais seul et livré à moi-même sur le quai, au paroxysme du désarroi et la haine aux tripes, pendant que le bateau qui emmenait les miens, s’éloignait du port. Quand il ne fût plus qu’un point au loin, je me décidai la mort dans l’âme et le coeur au bord des larmes à reprendre la route vers ce qui était encore ma maison pour quelque temps encore, et où je retrouvai mon beau père, dorénavant mon seul compagnon d’infortune, pour les jours qu’il nous restait encore à passer en Algérie.
Vers le 27 juin, le coeur saignant, je fermais la maison familiale et les locaux de l’entreprise. Avec mon beau-père et encore deux ouvriers fidèles, nous avions fabriqué des conteneurs en bois pour tenter d’embarquer vers la France
En Espagne, ma petite famille et ma belle-mère, avaient été recueillis et hébergés par les quelques parents proches de mon beau-père, à Alcoy, petite ville située à 80 kilomètres
Ce dernier, dans l’espoir de sauver encore quelques maigres biens et malgré mon insistance, avait préféré différer son départ de quelques jours, plutôt que de rentrer avec moi.
En effet, il se débrouilla à fabriquer et remplir un cadre supplémentaire de vaisselle et de mobilier, qu’il regroupa avec les autres sur le quai d’ Arzew, dans l’attente de leur embarquement sur un cargo à destination de Sète.
A suivre
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